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Photo du rédacteurlucierochas

Le coeur est un muscle fragile de Brigitte Smadja : coup de coeur !


Coup de coeur pour cette tranche de vie adolescente à l'heure de Facebook.


Simon commence par faire passer son père pour presque mort pour s'attirer l'attention et l'amitié de Léonard et Nessim. On suit ensuite le trio d'inséparables ("à trois, ils se sentent plus forts" page 59) dans leurs années collège et c'est curieusement passionnant. L'écriture de Brigitte Smadja y est pour quelque chose. Le peu de communication entre ado et parents, le premier smartphone (en 5ème !), le premier joint ("vertige effrayant,sensation de la terre ferme devenue sables mouvants sous leurs pieds" page 53), les vacances qu'on ne veut plus passer chez mémé ou avec les parents, les premiers baisers, le premier amour. Tout y est bien écrit.


On l'aime bien ce Simon, il est tout à la fois agaçant et touchant. A l'adolescence, on est traversé par tant d'émotions. Je ne revivrai ce bouleversement pour rien au monde mais lire ces montagnes russes sous la plume de cette auteure m'a beaucoup plu.


Quand il devient malgré lui le type le plus populaire du lycée, Simon se fait mystérieux et secret. S'ensuit son lynchage sur Facebook d'une rare violence que ne tente pas de stopper Léonard et Nessim. Comment ce trio d'amis à la vie à la mort en est arrivé là ?


Je vous recommande chaudement cette lecture.


Simon photographie le ciel. Il tient cette manie de sa grand mère Nine quasi centenaire "Vieille fée bienveillante et autoritaire qui n'a jamais renoncé à sa passion, la photographie, marche tous les jours et quel que soit le temps, à la recherche d'un détail du monde qu'elle n'aurait pas saisi, a choisi un motif privilégié, le ciel, et prétend qu'il est inépuisable".


Cela donne de jolies descriptions de ce tableau toujours changeant. J'aime ce côté tête dans les nuages quand les pieds sur terre peinent à maintenir l'équilibre.

"Quand les choses deviennent incompréhensibles, quand le monde chavire, Simon lève la tête. C'est un truc que lui a appris Nine (sa grand mère) "Respire profondément et lève les yeux vers le ciel"." page 28

"Le ciel est gris. Précise, dirait Nine. Gris plombé, légèrement bleu." Page 33

"Dans le ciel encore bleu, les nuages forment des flocons orangés, jaunes, roses." page 41

"Le ciel est d'un bleu limpide, miraculeux, un bleu d'écran de jeu vidéo." page 46

"Le ciel à perte de vue, éclats de soleil à nouveau, promesse d'un beau crépuscule." Page 212

"Nuages lenticulaires, vaisseaux spatiaux à la dérive" page 97


Des extraits sur les filles :

page 124 : "elle aussi a les yeux fardés de noir, mais sur toute la paupière supérieure, genre si j'y vais, j'y vais, je lésine pas sur les détails, j'emploie l'artillerie lourde".

Page 97 : Les filles sont comme ça, elles ont besoin de décortiquer une phrase que tu as écrite tu te souviens même plus quand, une phrase que tu nies, mais qu'elles te brandissent sous le pif en déroulant devant toi les 302 messages enregistrés, date, heure, qu'elles te lisent, preuves irréfutables, qu'elles t'invitent à consulter toi aussi parce que ces messages sont forcément enregistrés, mais toi ,jamais tu les relis. Les filles si, elles lisent tout, elles commentent tout, elles passent leur temps à consulter les archives. Flippant."


des extraits sur l'amour

"Simon a mal quand il la voit. Il ne se doutait pas que l'amour pouvait ressembler à ce qu'il ressent, ne prononce même pas le mot, n'a aucun souvenir que Dante, son héros de jeu video, ait jamais ressemblé à une huitre tremblant sous la morsure du citron". page 44

"Ils s'écrivent des trucs que personne n'oserait jamais écrire le jour, de longues phrases; pas ces quelques mots à peine articulés que Simon échange avec ses potes depuis des années.


Des extraits sur le mal être adolescent


"le pain est déjà froid, trop grillé, trop sec. Le café coule, transparent, raté, trop d'eau, de la tisane. découragé par cette hostilité manifeste des choses, Simon s'affale sur une chaise. " page 182


"L'année de la 6ème, Simon jusqu'ici plutôt petit pour son âge, grandit si brusquement qu'il lui arrive de ne plus maitriser ses gestes. Il est parfois effrayé par son reflet. Il n'est plus tout à fait le même, trop grand, trop brusque, trop occupé à habiter ce nouveau cours qui lui plait, le tourmente, le fait changer d'humeur pour rien lui d'habitude si tranquille. page 48.


page 138 : Simon soupire, ça s'entend fort un soupir aussi lourd, ça raconte un profond ras-le-bol, une absence totale d'enthousiasme, ça impose le silence.


page 138 Qu'ont-ils à espérer d'adultes qui leur laissent en héritage un monde aussi chaotique. "


Ce roman pointe du doigt les avantages et les inconvénients des réseaux sociaux. S'ils permettent de partager des photos de ciel et donc une certaine poésie, ils sont aussi le miroirs déformants de notre quotidien. Notre mur Facebook n'est pas le reflet de notre vie. Seulement ce que l'on veut bien en montrer. Le risque étant que certains déforment cette réalité, extrapolent. Face à une photo, une phrase, toutes les interprétations sont possibles et les pires commentaires sont pondus par des individus qui causent du mal bien à l'abri de leur écran.


Le fossé entre les générations est creusé davantage encore par les nouvelles technologies. Page 135 "Un intellectuel se déchaine contre les effets tragiques de la technologie, vitupère contre Facebook, Google, Microsoft, dénonce cette nouvelle toxicomanie, servitude volontaire à laquelle les Américains ont converti la planète entière. Jacques, qui vit dans la crainte d'une désagrégation prochaine du cerveau de sa progéniture causée par une exposition immodérée aux écrans, oblige Simon à réagir, en interrompant à tout moment l'émission. Trop de chiffres, trop de détails soûlants. Simon se refuse à tout commentaire. Il le sait, répondre ne servirait à rien. Qu'est ce que ces vieux qui n'ont pas eu de téléphone avant d'être adulte peuvent comprendre ? (...) à part t'enfermer dans ta chambre les yeux rivés sur ton écran, tu fais quoi ? (...) tu te rends compte que tout ce que tu écris est enregistré, qu'il faut débourser une fortune pour effacer définitivement tes traces? Et tes dizaines d'amis ? Qu'est ce que ça veut dire avoir des dizaines, voire des centaines d'amis ? Quel sens donnes tu à l'amitié ?"

- Qu'est ce que tu voudrais ? Que je passe mes journées à lire dans ma chambre, porte ouverte, bien visible, sous contrôle ? Ce que tu ne supportes pas c'est que je t'échappe sans cesse, que j'ai une vie et que sur cette vie tu n'as aucune prise, aucune. Parce que tu ne la connais pas. Tu crois la connaitre mais tu ne la connais pas, pas du tout."


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